Au mois de janvier, Babelio a organisé une #massecritique dédiée à la fiction. Les maisons d'édition ont envoyé leurs titres sélectionnés à des lectrices et lecteurs qui se sont engagés en retour à lire et écrire une critique dans un temps imparti. Nous avons saisi cette chance, alors qu'il a été compliqué d'aller à la rencontre du lectorat, d'aller toucher des personnes séduites par la couverture et le résumé des livres.
Par Audrey, Light and smell
J’ai tout de suite été séduite par la couverture poétique et onirique qui laissait présager un texte tout en délicatesse.
Et c’est exactement ce que j’ai trouvé dans ce roman, du moins dans la forme, puisque le fond se concentre sur des thématiques sociétales fortes et importantes. Ainsi, les nombreuses références littéraires et les pensées et états d’âme de Julie mettent en lumière une actualité brûlante et des schémas de pensées archaïques, certaines issues du colonialisme et du patriarcat. Des pensées délétères et des préjugés qui égratignent chaque jour un peu plus le vivre-ensemble et menace d’imploser à chaque moment. C’est d’ailleurs dans un certain climat de tension que nous évoluons, des échauffourées ayant éclaté après l’interpellation d’un lycéen qui a mal tourné. Un drame qui ne sera pas sans faire écho à d’autres, ceux-là bien réels…
Si Julie nous semble évoluer dans son monde intérieur, elle se prend la réalité en pleine face : son couple est une vaste fumisterie, les sourires sont parfois un moyen détourné d’obtenir ce que l’on souhaite, le monde est injuste, le sexisme et le harcèlement de rue, une réalité, et la France pas forcément ce pays de tolérance qu’il se targue d’être. Mais alors qu’elle s’informe, s’indigne et essaie de comprendre, son compagnon se contente d’un cynisme propre à une certaine élite intellectuelle qui semble parfois déconnectée des drames du quotidien, préférant s’enfermer dans des idées et postures bien plus confortables. Mais jusqu’à quand peut-on faire la sourde oreille et rester en retrait du monde ? Jusqu’à quand peut-on prétendre ignorer que la politique d’intégration défendue par le modèle républicain français se soit transformée, au fil du temps, en une injonction à subir la discrimination en silence ? Comment peut-on laisser le racisme gangréner les esprits et les injustices durablement s’établir ?
La dénonciation du racisme et de l’hypocrisie autour de la question tient une place importante dans le roman, mais l’autrice évoque également les discriminations envers les femmes, mais surtout le rôle et la place que la société leur a assignés. Injonctions à se taire, injonctions à paraître, injonctions à enfanter, mais pas à explorer sa sexualité sous le prisme du plaisir… Difficile de dire les femmes libres ! N’oublions pas non plus la manière dont leur présence dans la rue est bafouée et soumise aux regards des hommes qui se sont approprié l’espace public : sifflement, insultes, regards salaces, frottements… Quand on est une femme, et quoi qu’on puisse faire, on est certaine d’y être confrontée à un moment de sa vie, plus probablement tout au long de sa vie.
Mais, peut-être pire, cette oppression et étouffante domination ne se limitent pas à la rue. Combien de femmes n’ont-elles pas pu ou osé dire non à leur compagnon, petit ami ou mari ? Combien doivent encore subir le mépris quotidien et ces petites phrases destinées à les remettre à leur place ? Combien se sont laissées prendre dans les filets d’un manipulateur ?
En parallèle de ces thématiques, on suit les coulisses d’une pièce de théâtre que tente de mettre en scène Thomas, avec l’aide de Julie. Mais entre les doutes personnels de l’homme, ses propres barrières mentales et les conflits entre les acteurs, la situation est loin d’être reposante. Cet interlude dans le monde du spectacle avec son aura toute shakespearienne m’a bien plu et offre une vision réaliste, et non idéaliste, du processus créatif et de ses difficultés… J’ai également apprécié la subtilité avec laquelle théâtre au sens strict du terme et théâtre de vie se fondent dans une mélopée grinçante.
Si l’écriture est puissante, poétique et belle à la fois et les différentes thématiques intéressantes, notamment par toutes ces réflexions et prises de conscience qu’elles suscitent, du racisme à la « puissance du masculin » en passant par tous ces doutes qui forment les personnalités, ce texte pourra surprendre. Car, du moins pour moi, on est bien plus à la croisée de l’essai et du roman que de la pure œuvre de divertissement. Un mélange audacieux, très bien amené, et plutôt percutant, qui a bien fonctionné sur moi, mais qui ne convaincra pas forcément les lecteurs en quête d’une simple histoire, et non d’une œuvre mêlant avec un certain sens de l’à-propos trajectoire individuelle et débâcle collective.
En conclusion, En Arden fait partie de ces textes forts, portés par une belle et délicate plume, qui bousculent les certitudes et poussent les lecteurs à s’interroger sur leurs propres croyances et le miroir déformant à travers lequel ils en sont venus à les façonner. Engagé, et par certains aspects militant, voici un ouvrage qui ne laissera personne indifférent, et dont la puissance réside, entre autres, dans la manière dont il fait le parallèle entre littérature, crises existentielles et drames actuels.
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