Par Clémence & Marie
C’est une des fins possibles du livre : son pilonnage. Sa destruction par déchirements, trempage, compression, puis recyclage. Cette ultime mise en morceaux est celle de près de 20 % des livres produits chaque année en France. C’est beaucoup. C’est trop quand on sait que certains n’ont jamais franchi le seuil d’une librairie et n’ont connu que le ciel marron des cartons, empilés dans les hangars des entreprises de distribution.
Pour comprendre pourquoi autant de livres sont détruits, il faut remonter dans le temps, depuis l’estimation du tirage d’un livre jusqu’à sa mise en circulation dans les points de vente.
On vous emmène dans les coulisses de la chaîne du livre, là où on les conçoit et où se joue leur destin.
Le Tirage (sans boule de cristal)
Après avoir décidé de publier un manuscrit, travaillé sur le texte avec l’auteurice, conçu la maquette et la couverture, l’éditeurice doit estimer le tirage du titre, c’est-à-dire le nombre d'exemplaires à imprimer. Pour cela, il faut tâcher d’estimer le potentiel commercial du titre : Combien de personnes sont susceptibles d’acheter le livre ? Combien faut-il donc imprimer d’exemplaires pour satisfaire ce public potentiel ?
Ce sont des projections, pas une science exacte, qui s’appuient sur la connaissance, plus ou moins fine, du marché éditoriale de l’éditeurice et/ou de celle de ses éventuels partenaires commerciaux (dans le cas où la maison d'édition travaille avec une entreprise de diffusion).
Il faut pouvoir viser juste, estimer le « bon tirage », celui qui permettra de répondre à la demande sans que trop d’exemplaires ne « restent sur les bras » de l'éditeurice.
Une mauvaise estimation peut générer beaucoup de stock « en trop », qui peut finir par encombrer les réserves. Quand ce stock se trouve dans les entrepôts des entreprises de distribution plutôt que chez les éditeurices autodistribué·es, sont facturés aux éditeurices des frais de stockage (car non, malheureusement, on a pas encore acquis le pouvoir de pousser les murs au gré des besoins). Alors, si un stock de livres ne « bouge » pas (ou peu), si le titre ne circule pas (ou peu) dans les différents points de vente, cela veut dire qu’il ne se vend pas beaucoup ou lentement. Dans certains cas, lorsque ce stock est trop important, l’éditeurice peut prendre la décision (douloureuse) de le réduire afin de diminuer les frais que son entreposage entraîne. Et c’est là que le pilon entre en action !
Les livres, dont l’éditeurice voudra s’alléger, seront extraits du stock puis confiés aux entreprises de recyclage qui s'occuperont, elles, de les pilonner.
L'Autodistribution et la vente ferme
Gorge bleue est une petite maison d’édition, qui n’a pas d’autre choix que de prendre la mesure de ses enthousiasmes. Avec trois ans d’ancienneté, seulement trois nouveautés par an et un premier tirage habituellement compris entre 600 et 1 000 exemplaires, les stocks de livres imprimés relèvent d’une production contrôlée, raisonnable.
En autodistribution, cela veut dire que c’est au sein de la maison d’édition que les commandes vers la librairie sont préparées. Avec seulement une (parfois deux) paires de mains pour assurer l’empaquetage et l’envoi des colis, nous avons fait le choix de la vente ferme : il est impossible pour un libraire de procéder à des retours si les livres ne sont pas vendus. La vente ferme étant inconfortable pour beaucoup de libraires qui craignent de voir les livres encombrer leurs étales, nous envoyons surtout des commandes de livres à l’unité, qui correspondent à une commande client.
En trois ans d’existence, nous avons également noué des partenariats avec des libraires qui ont décidé de faire confiance à nos livres et de rendre certains titres disponibles en plusieurs exemplaires sur leurs tables, de repasser des commandes fermes quand leurs stocks sont épuisés. C’est aussi grâce à eux que Gorge bleue ne pilonne pas les livres qu’elle imprime.
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