Caroline Pageaud est graphiste, artiste, pirate, navigatrice, illustratrice et tant d'autres choses. Elle vit et travaille à Besançon mais vadrouille un paquet sur les routes, sur les flots. Graphiste officielle de la maison d'édition Gorge bleue, elle était là aux tous débuts, lui a trouvé un logo, une identité visuelle, et aussi les maquettes des couvertures. Si Gorge bleue est une si belle maison (héhé), c'est aussi grâce à Caroline, et c'est avec plaisir que l'on commence cette série d'entretiens avec elle.
Peux-tu nous raconter comment tu as travaillé sur cette identité visuelle ? Avais-tu déjà bossé sur des livres ? Qu'est ce que ça t'a demandé de neuf, par rapport à d'autres travaux graphiques ?
Chaque projet est une aventure. La tienne, celle traversé avec Gorge bleue a été belle et enrichissante. Pouvoir être à la genèse d'un projet, en parler, et rêver de sa réalisation, pour plus tard tenir entre ses mains l'objet fantasmé est un très beau voyage. J'ai toujours eu en tête qu'un jour j'illustrerai un (des) livres, et Gorge bleue m'a proposé davantage : penser le livre, son format, sa texture, son papier etc. C'est génial de pouvoir décider de quel livre on a envie d'avoir entre les mains, avant même de savoir ce qu'on a envie d'y lire. Le livre c'est un objet, un moment aussi, et travailler sur ce support questionne sur son rapport à la lecture. Et comme à chaque fois en graphisme, je tente d'écouter les besoins et demandes du projet et d'y ajouter un peu de ma personne, de mon expérience...
Tu as également signé deux images de couverture pour Gorge bleue : Les tombes, de Madeleine Roy, et Le Silence qui cache la forêt, de Marie Sélène. Qu'est-ce que sous-tend le travail d'illustration, peux-tu nous expliquer la différence entre une image que tu crées en tant qu'artiste, et une illustration ?
J'ai eu la chance de réaliser deux couvertures (car l'éditrice semble me faire aussi confiance en tant qu'illustratrice et c'est chouette). Quand je dois illustrer un texte, j'ai en tête certaines contraintes, et c'est une traduction d'un travail déjà posé, celui du texte. Quand je travaille sur des images en tant qu'artiste, (je travaille également le dessin) j'ai toutes les cartes en main, je ne traduis que mon propos, et les contraintes sont celles que je m'impose (comme le format, la technique, ou le message).
Comment se lient texte et image pour toi ? Quelle a été ta méthodologie pour proposer ces deux images ?
Tout d'abord il faut lire le texte. Mais étrangement j'ai souvent une idée avant... Le dialogue avec l'éditrice (qui sait parler des textes qu'elle a choisi) m'aide à synthétiser l'esprit du livre, les grandes lignes. La lecture vient étoffer les images possibles. Ensuite il faut réduire, trouver l'élément du livre, sans le raconter. Et enfin il faut le confronter à l'autrice, à l'éditrice... et tomber d'accord sur ce que raconte (aussi) l'image de couverture. Parfois plusieurs idées sont possibles, il faut savoir en lâcher une pour tomber d'accord.
Es-ce que ça t'a donné envie de faire d'autres couvertures ? Par exemple, en lisant un livre tu te dis : oh tiens, je verrais bien ça comme couverture, plutôt ?
Oui clairement, j'aimerais illustrer la plupart de mes lectures, je fais souvent l'exercice de savoir ce que j'aurais mis pour Beauté fatale de Mona Chollet, ou pour l'Arbre Monde de Richard Power (et si j'aurais su être pertinente). Illustrer un texte, un propos ou un article, me procure beaucoup de joie, j'aime ça, j'aimerais en faire davantage et je travaille pour.
On le disait en début d'entretien, tu cumules plusieurs casquettes : artiste, graphiste, et tu as un lieu à Besançon, un atelier /galerie que tu co-mènes. Comment fais-tu cohabiter tous ces rôles, ces fonctions dans ta pratique ? Se nourrissent-ils les uns les autres ? Sont-il poreux ?
Je peux paraître éparpillée quand j'explique mes différents projets, j'aime mener plusieurs combats à la fois. Mon équilibre marche à trois ou quatre pattes. Le graphisme me donne l'occasion de rencontrer différents corps de métiers selon les projets, c'est très nourrissant et à chaque fois ponctué de belles rencontres ; il y a l'atelier / galerie dont tu parles à Besançon, Les2portes ou avec Audrey et Gwilherm on propose des cycles expositions et autres rendez-vous culturels ponctuels ; il y a (ou avait) des ateliers et actions culturelles et enfin, le travail artistique personnel... Mais je vois tout ça comme un seul et même mouvement, cela permet certes un meilleur équilibre financier, mais donne aussi une vraie richesse (humaine, créative, intellectuelle, éthique...)
Peux-tu nous dire quelques mots de la situation des artistes par temps de confinement ? Tu es partie en transatlantique l'année dernière, et tu vis deux confinements bien différents. Comment ta pratique artistique a été impactée / est impactée aujourd'hui, par ces deux situations plutôt inédites ?
Effectivement, ces deux confinements sont très, très différents. Être enfermée dehors aux Antilles sur un bateau ou en ville ne donne pas les mêmes inconvénients et avantages, mais je crois que les deux ont une valeur. La situation des artistes est précaire, et le confinement est un coup de massue sur notre profession car il empêche les espaces d'expression, annule les actions culturelles, cache littéralement notre rôle dans la société (et qui ose parler des artistes quand l'économie est à relancer ?) Plus sérieusement, c'est une nouvelle adaptation qu'il va falloir trouver mais qui n'est pas du tout évidente encore à appréhender.
Est-ce que tu peux nous présenter ton travail, ta démarche, tes recherches en cours ?
Mon travail peut prendre différentes formes, ça dépend beaucoup de quel outil j'ai dans les mains, une gouge pour la gravure, le feutre, les crayons de couleurs... Mais je dirais que mon point de départ, c'est le relief : je le grave, le dessine, le cherche dans les montagnes que je parcours, dans la mer que je traverse, le paysage est un de mes sujets de prédilection. Je travaille en ce moment sur un projet d'écriture/illustration sur le thème du rapport au corps et à la féminité, et cherche chaque jour comment faire danser mes crayons de couleurs ensemble.
Enfin, est-ce que tu peux nous parler de la dernière œuvre qui t'ait marquée ?
J'aime beaucoup voir les enfants du fauvisme (en BD, en peinture ou dessin) l'approche de la couleur, la composition, c'est très inspirant. Je lis Alice Zeniter en ce moment, et écoute Klair fait Grr pour les podcasts (mais il y en a tellement !!!).
Propos recueillis en novembre 20 par courriel.
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